Pauline de Laboulaye
Texte pour le catalogue de Visu, Musée des Beaux Arts de Rouen
C’est dans le cadre du projet « Voisins de campagne » que Perrine Lievens est sollicitée par le SHED pour participer à une résidence chez Priscilla et Edouard de Lamaze, dans leur domaine de Bois-Héroult, près de Rouen. Elle y passera six mois dans une petite maison du village et s’initiera auprès de ses hôtes à la vie d’une propriété de campagne en hiver et au printemps.
Perrine Lievens se rattache à cette tendance de l’art contemporain qui incorpore aux œuvres des éléments naturels, bruts ou polis, solides ou périssables, voire des êtres vivants, pour produire des expériences sensibles plus que des représentations. Immergée dans la nature, elle passe par une « phase d’infusion », puis de collecte. Chaque matériau lui inspire des idées de formes, d’accords et de contrastes, de rythmes et de motifs qu’elle transcrit sur papier. Puis, attentive à respecter le génie propre des matériaux, elle les travaille, jouant de leur pouvoir d’évocation pour faire jaillir du sens.
Des quatre œuvres présentées à Bois-Héroult, deux installations ont été retenues pour le musée des Beaux-Arts de Rouen : Les mondes vierges et Notes de printemps.
Dans Les Mondes vierges, des corolles de graines de pissenlits se nichent dans des piles du journal « Le Monde » aux pages vierges de toute impression. Perrine Lievens est partie d’une observation : les pissenlits disséminent leurs graines au vent comme le journal acheté chaque matin dissémine l’information. Mais quel message portent-ils ? Au-delà de la métaphore dont le dictionnaire Larousse a fait son emblème, comment associer deux matériaux aussi différents tout en faisant apparaitre leurs analogies : formelle (la couleur), gestuelle (l’effeuillage) ou conceptuelle (l’éphémère, les mots qui s’envolent) ? Comment « déployer le matériau » pour « déployer l’imaginaire » ? L’artiste dit à propos de cette installation : « Je voulais stopper l’actualité pour y intégrer la mienne » ; faire taire le quotidien bavard au profit du temps long de la contemplation champêtre.
Dans Notes de printemps, la jonchée de feuilles en terre cuite suscite le même sentiment de ralentissement du temps, celui des longues collectes d’hiver et surtout de printemps. Perrine Lievens a rassemblé les feuilles une à une, puis les a trempées individuellement dans différents pots de terre liquide. Cuites au four, elles ont été carbonisées, laissant leurs empreintes singulières attester de la diversité infinie de leurs formes. Ensuite, elles ont été disposées en tas dans une pose « naturelle ». Mais leur réalisme s’arrête à la couleur. Un camaïeu subtil de gris qui évoque, pour Perrine Lievens, la vibration des reflets du bassin de Bois Héroult sous un ciel d’hiver, « les porte ailleurs » ; sans doute à ce moment d’infusion/fusion où l’artiste a senti la forêt, le vent, le ciel, l’eau et les êtres vibrer à l’unisson.
Ces œuvres sont fragiles, presque intouchables. Les pissenlits s’envolent au moindre souffle. Les feuilles se cassent et leur installation est d’autant plus périlleuse qu’elle doit donner l’illusion d’être traversée de courants d’air. La série des Etendues, également montrée à Bois-Héroult, utilise des ailes iridescentes de papillon qui se dissolvent au moindre contact. Son goût pour la fragilité et l’insaisissable l’expose souvent à de véritables défis techniques qu’elle considère comme des actes de résistance : être capable de retenir les choses fragiles et éphémères ; ne pas les laisser s’évanouir ; leur permettre d’entrer dans la durée de l’art sans les détruire.
Encore plus insaisissables sont le vent, le souffle et l’air qui animent les choses. On retient son souffle devant les pissenlits de Les mondes vierges et l’air circule entre les feuilles de Notes de printemps. Dans une installation plus ancienne réalisée au Vietnam, des moulins à vent en papier miroir forment un carré qui mouline le ciel. Ou encore, une sculpture en papier imitant une bouche d’aération palpite au rythme d’une respiration alternée, tout comme les billes de polystyrène animées par une discrète soufflerie qui tapissent le fond d’un carton de déménagement dans D’Ici là. L’air rend l’espace transitoire, comme dans cette maquette réalisée au Japon, dont une paroi suspendue à un ballon se déplace avec le courant d’air provoqué par l’ouverture de la porte d’entrée.
On a parfois le sentiment que Perrine Lievens cherche à faire respirer ses pièces, comme si elle voulait rendre aux matériaux la vie qu’ils perdent en devenant des œuvres, en passant du dehors au dedans, de la fragilité du vivant à l’éternité de l’art ; cet éternel dilemme de l’art.